Actualité jurisprudentielle des soins psychiatriques sans consentement 

N° 286 - Mars 2024
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La Cour de cassation poursuit son travail d’interprétation du cadre légal des soins psychiatriques sans consentement. Tour d’horizon de quelques décisions récentes.

Admission sur décision du représentant de l’État

• Confirmation par le Préfet d’une mesure provisoire prise par le maire

L’article L. 3213-2 du Code de la santé publique permet au maire, en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical, de prendre à l’égard d’une personne dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, pouvant impliquer une admission en soins psychiatriques sans consentement. Dans ce cas, le maire est tenu d’en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l’Etat dans le département (le Préfet) qui « statue sans délai » et prononce, s’il y a lieu, un arrêté d’admission en soins psychiatriques dans les formes prévues à l’article L. 3213-1 du même code. Le texte ajoute que les mesures provisoires deviennent caduques au terme d’un délai de 48 heures. 

Interprétant cette disposition, un arrêt du 18 octobre 2023 (1) précise que le Préfet peut donc confirmer, en l’état des éléments médicaux dont il dispose, une admission en hospitalisation complète décidée provisoirement par le maire, au plus tard jusqu’à 48 heures après l’arrêté municipal. La précision pourrait paraître superflue. Pourtant, le juge d’appel avait retenu une autre interprétation de l’expression « statue sans délai » employée par le texte de loi, et prononcé la mainlevée de la décision préfectorale d’hospitalisation pour non-respect de cette condition. Selon lui, ces termes ne pouvaient être entendus que comme reflétant « le temps strictement nécessaire matériellement et intellectuellement à l’élaboration de l’acte » et, en l’espèce, le préfet du Jura ne justifiait aucunement la durée de près de deux jours écoulée entre la réception par télécopie de l’arrêté municipal, le 26 mars 2022, et son propre arrêté, pris le 28 mars. L’ordonnance d’appel est censurée par la Cour de cassation. 

A retenir. « Sans délai » signifie donc précisément « dans la limite des 48 heures » et en l’espèce, l’arrêté avait bien été pris avant l’expiration de ce délai.

• Examen judiciaire fondé sur les certificats médicaux

Le juge des libertés et de la détention (JLD), comme le juge d’appel, lorsqu’ils sont amenés à apprécier si les conditions du prolongement d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement sont réunies, doivent le faire au regard des certificats médicaux qui leur sont soumis. La Cour de cassation rappelle cette exigence dans un arrêt du 15 novembre 2023 (2), affirmant que « lorsqu’il est saisi d’une demande de mainlevée d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement, le juge doit examiner le bien-fondé de cette mesure au regard des certificats et avis médicaux produits, sans pouvoir porter une appréciation d’ordre médical sur le traitement mis en œuvre ni déterminer s’il est le plus approprié à l’état de santé du patient ». 

En l’espèce, le patient avait été admis en hospitalisation complète sur décision préfectorale à la suite d’une mesure provisoire prise par le maire sur le fondement de l’article L. 3213-2 du Code de la santé publique. La prise en charge s’était poursuivie un temps sous la forme d’un programme de soins, avant une réadmission en hospitalisation complète, que le patient avait contestée devant le juge. La Cour de cassation valide ici l’ordonnance du premier président de la Cour d’appel, en constatant que celui-ci s’est effectivement fondé sur les avis médicaux produits et s’est assuré de la nécessité de maintenir la mesure de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète. 

A retenir. L’interdiction faite au juge de substituer sa propre évaluation à celle des psychiatres concerne tant l’appréciation de l’état mental du patient (existence de troubles mentaux), que l’impossibilité d’obtenir son consentement aux soins (3) (condition légale de l’admission à la demande d’un tiers ou en cas de péril imminent) ou encore le mode de prise en charge approprié (hospitalisation complète, programme de soins ou soins libres) (4).

• Interdiction pour le juge de dénaturer les certificats médicaux

Rappelons en outre que, dans l’appréciation du bien-fondé de la mesure de soins psychiatriques, le juge doit faire une lecture fidèle des avis médicaux, sans les dénaturer, c’est-à-dire sans leur faire dire ce que, manifestement, ils ne disent pas. La Cour de cassation l’a confirmé dans un arrêt du 13 septembre 2023 (5), en application d’un principe général du droit, « l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ». 

L’affaire concernait un patient admis en hospitalisation complète à la suite d’une décision du Préfet, sur le fondement de l’article L. 3213-1 du code de la santé publique. En appel, le premier président avait fait droit à la demande de mainlevée formée par la patiente et son époux, en affirmant notamment que le certificat initial ainsi que les certificats de la période d’observation ne caractérisaient pas de troubles mentaux. Estimant que l’interprétation ici faite par le juge de ces certificats en dénaturait le contenu, le Préfet avait formé un pourvoi contre cette ordonnance, accueilli par la première chambre civile de la Cour de cassation. 

Cette dernière relève ainsi que « le certificat médical initial constatait que Mme [K] présentait un état de décompensation psychotique avec des idées délirantes paranoïdes et troubles du comportement de nature à constituer un danger pour elle-même et pour autrui, et que les certificats de la période d’observation faisaient état, pour le premier, d’une patiente hostile, sthénique, niant les faits, contestant toutes les décisions et disant se sentir surveillée, pour le second, d’une patiente “sub-sthénique”, méfiante, psychorigide, souffrant d’un délire de persécution et dans le déni total des troubles psychiatriques ayant motivé son hospitalisation »

A retenir. L’ordonnance rendue par le juge d’appel est censurée pour avoir dénaturé les écrits des psychiatres, dès lors qu’au regard du contenu des certificats visés, l’existence de troubles mentaux ne faisait pas de doute.

• Pouvoir d’un patient majeur protégé d’exercer seul une voie de recours

Un autre arrêt, rendu le 31 janvier 2024 (6), confirme la possibilité pour un patient majeur faisant l’objet d’une mesure d’hospitalisation psychiatrique et bénéficiant d’une mesure de protection, en l’occurrence une curatelle, de former seul, sans nécessité de l’assistance de son curateur, un pourvoi en cassation contre une décision d’appel confirmant la décision prise par le Préfet. Il se déduit des articles 415 et 459 du Code civil et L. 3211-12 du Code de la santé publique que « constitue un acte personnel que la personne majeure protégée peut accomplir seule la formation d’un pourvoi contre une ordonnance statuant sur une mesure de soins sans consentement la concernant »

– L’article 415 du Code civil dispose que la mesure de protection a pour finalité l’intérêt de la personne protégée et qu’elle favorise, autant que possible, l’autonomie de celle-ci. 

– L’article 459 pose quant à lui un principe d’autonomie du majeur pour les actes relevant de la sphère personnelle (non-patrimoniale, par opposition à la matière patrimoniale, celle qui concerne les biens) de la personne. 

– Certaines dispositions spécifiques à des actes particuliers confirment ce principe d’autonomie, par exemple pour les décisions relatives à la santé de l’intéressé (CSP, art. L. 1111-4 al. 9). 

Les actions en justice qui portent sur un objet personnel, comme c’est le cas de la contestation d’une mesure portant atteinte à la liberté d’aller et venir, à l’image d’une mesure de soins sans consentement, sont logiquement régies par ce même principe d’autonomie. 

A retenir. Doit donc être rejeté l’argument invoqué par le Préfet de police de Paris soulevant l’irrecevabilité du pourvoi formé par le malade faute d’assistance du curateur. Ce pourvoi étant recevable, doit de même être censurée l’ordonnance du premier président de la Cour d’appel de Paris ayant, pour les mêmes motifs, déclaré l’appel irrecevable alors que le majeur protégé pouvait, là encore, sans besoin de l’assistance de son curateur, former appel de la décision du JLD.

Admission à la demande d’un tiers ou en cas de péril imminent

• Personne ayant qualité pour demander la mainlevée

Un arrêt du 6 décembre 2023 (7) rappelle que la sœur d’une patiente a toujours qualité pour demander la mainlevée immédiate d’une mesure de soins sans consentement dont cette dernière fait l’objet. Selon l’article L. 3211-12, 6°, du Code de la santé publique, en effet, le juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel se situe l’établissement d’accueil peut être saisi, à tout moment, aux fins d’ordonner, à bref délai, la mainlevée immédiate d’une mesure de soins psychiatriques, quelle qu’en soit la forme, par un parent ou une personne susceptible d’agir dans l’intérêt de la personne faisant l’objet des soins. La personne ayant un lien de parenté avec le malade a donc toujours qualité pour former une telle demande. 

Dès lors, est censurée la décision d’appel ayant retenu qu’un lien fraternel ne confère pas par lui-même la qualité de « parent ou personne susceptible d’agir dans l’intérêt de la personne faisant l’objet des soins », et que la demanderesse ne justifiait pas de liens particuliers qui l’autoriseraient à interférer dans la vie de sa sœur, admise en hospitalisation complète après avoir été déclarée irresponsable pénalement.  

A retenir. Le parent, au sens de la personne ayant un lien de parenté avec le malade, est donc légalement présumé agir dans l’intérêt de son proche, sans avoir à en apporter la preuve.

• Période où le péril imminent doit être constaté

Le même jour, un second arrêt (8) précise cette fois qu’un patient admis en hospitalisation complète au motif d’un péril imminent peut, lors du renouvellement de la mesure, être maintenu en hospitalisation complète sans nécessité de caractériser la persistance du péril imminent. Cette condition n’est ainsi requise qu’au moment de l’admission. Le maintien de la mesure de soins sans consentement, quant à lui, obéit aux conditions générales de l’article L. 3212-1, I, du Code de la santé publique. Il impose donc seulement la constatation de l’existence de troubles mentaux qui rendent impossible son consentement et qui nécessitent des soins immédiats assortis soit d’une surveillance médicale constante (justifiant une hospitalisation complète) ou régulière (permettant une prise en charge sous la forme d’un programme de soins). 

A retenir. L’argument invoqué par une patiente, dont la prise en charge a été prolongée sous la forme d’un programme de soins, tiré du défaut de caractérisation du péril imminent au moment de ce renouvellement, ne peut prospérer.

Paul Véron
Maître de conférences à la faculté de droit de Nantes,
Laboratoire Droit et changement social (UMR 6297)

1– Civ., 1re, 18 octobre 2023, n° 22-17.752.
2– Civ., 1re, 15 novembre 2023, n° 23-14.928.
3– Civ., 1re, 27 septembre 2017, n° 16.22.544 ; CA Douai, 25 août 2021, n° 21/00079 ; CA Rennes, 11 décembre 2014, n° 14/00419.
4– Civ., 8 février 2023 n° 22-10.852.
5– Civ., 1re, 13 septembre 2023, n° 22-17.513.
6– Civ., 1re, 31 janvier 2024, n° 22-23.242.
7– Civ., 1re, 6 décembre 2023, n° 22-18.703.
8– Civ., 1re, 6 décembre 2023, n° 22-17.091