Madame Flocon, âgée de 42 ans, hospitalisée suite à une bouffée délirante aiguë, se dit enceinte de 24 bébés. Dans cet article, Alison Bardy, psychologue, propose une lecture des quelques rencontres qu’elle a menées avec cette patiente, tentant d’explorer le contenu de son délire et d’articuler son vécu avec la théorie analytique.
Psychologue, je fais la connaissance de Madame Flocon lors de son séjour à l’hôpital psychiatrique. Je mènerai avec elle, cinq entretiens étalés sur trois semaines. Avant d’être admise dans l’unité où je travaille, elle est, faute de place, hospitalisée dans un autre service, d’où elle fugue avant de revenir très agitée. Conséquence : plusieurs jours en chambre d’isolement ! Je la rencontre donc lorsqu’elle est plus apaisée.
Lors de la réunion de transmission journalière, Madame Flocon, 42 ans, est présentée comme une patiente « état-limite », suivie depuis plusieurs années pour ce trouble mais également pour une ancienne dépendance à l’alcool. Admise à l’hôpital pour une bouffée délirante aiguë, ses troubles ont débuté quelques jours auparavant alors qu’elle fête ses fiançailles. Devant sa violence et sa détresse, son compagnon est contraint d’appeler la police et les pompiers. Madame Flocon a saccagé leur appartement, brisé les vitres, jeté du mobilier par les fenêtres. Dans son agitation, elle s’est blessée, puis a accuse son ami de l’avoir frappée pendant son sommeil. Elle-même lui a donné plusieurs coups.
Quelques jours auparavant, Madame Flocon a déclaré une sérieuse infection à l’estomac, nécessitant une admission en réanimation. Elle a cru en mourir mais n’en dit pas grand-chose. De notre côté, nous ne réussissons pas à récupérer le compte rendu d’hospitalisation. J’ai tenté de questionner la psychiatre référente de Madame Flocon sur la nature de son problème somatique mais elle n’a pas su me donner plus de précisions. L’unité était, comme beaucoup d’unités de secteur, en sous-effectif aussi bien médical que soignant, et comptait beaucoup sur les intérimaires pour fonctionner, ce qui rend le suivi parfois difficile. Une seule somaticienne était présente à temps partiel pour quatre unités d’une quinzaine de patients chacune. Ce genre de difficultés était monnaie courante lorsque je travaillais dans ce service. En dehors des hiatus de ce genre, nous avions peu de temps à consacrer, de façon collective, à la réflexion clinique. Il n’était pas rare que nous ayons des angles morts que nous n’identifiions même pas, et qui nous empêchaient de penser nos prises en charge correctement. (…)
Alison Bardy, psychologue